Un billet #12 Voilée
Je suis née et j'ai grandi ici. J'habite ce quartier depuis ma naissance, il y a vingt-huit ans. Parfois, j'ai l'impression d'avoir déjà vécu plusieurs vies, denses de rencontres, d'amitiés, de connaissances, d'implication dans cette ville dans laquelle je pense avoir gagné ma place plus que je ne l'ai trouvée. Jusqu'il y a quelques années, la question de la nationalité était une idée qui ne m'effleurait pas. Je n'y pensais simplement pas. L'appartenance à une nation, l'idée d'unité derrière un drapeau, un hymne, des valeurs communes ne me concernait pas, ou alors, j'agissais plutôt par rejet de ces notions qui me semblaient plutôt vieillottes et ne correspondant pas au monde qui me semblait plus ouvert que cette vision réductrice et rabougrie. Le spirituel tient une place importante dans ma vie. Je crois en dieu. Dieu et la religion sont présents comme des amis fidèles. Dieu comme une force, un soutien, une puissance bienveillante et bienfaitrice, la religion comme un moyen de nous adresser à lui, avec des codes, des rituels, un culte qui permet d'être dans une relation directe avec lui. Chez nous, la religion, c'est un peu un mouvement de marée. Certains croient, d'autre pas, certains pratiquent de façon plus ou moins suivie. Mes parents sont plutôt détendus avec ça. Bien sûr, ils sont fiers de ceux qui pratiquent mais ils sont fiers aussi de leurs enfants qui n'y trouvent pas leur compte et ne croient pas. La religion c'est un lien qui nous unit et dont nous ne parlons pas. Sauf ces derniers temps avec cette histoire du voile. Ça a fini par envahir l'espace structurant du foyer jusqu'à en faire le sujet de conversation principal. Mes parents ont peur pour moi. Moi aussi parfois, lorsque j'affronte des regards malveillants, voire hostiles ou qu'on s'adresse à moi en m'insultant. Ce voile est devenu la cause qui agite la société française. Le voile serait l'objet ostentatoire qui prouverait la volonté larvée et des musulmans à imposer leur religion. Je suis française. J'aime ce pays qui m'a vu naitre, grandir et m'a soutenu pour devenir ce que je suis devenue, au prix de sacrifices faits par mes parents et ma famille, au prix d'efforts pour devenir avocate. J'aime ce pays. Mais quand il montre du doigt une partie de sa population, je me lève et me bats pour le protéger de lui-même afin qu'il ne tombe pas dans l'enfer déjà connu de la violence dirigée contre celles et ceux qui ne correspondraient pas à l'image iconique d'une Marianne figée dans le silence de son marbre blanc.