Un billet #6
Migrant
Migrant. Étrange terme. Il désigne celui qui a opéré un mouvement d'un pays à un autre. Cette définition, neutre, simple, épurée, dénuée de sentiment mais pas de froideur technocratique et administrative, est sciemment choisie pour lisser l'identité, le trajet parcouru et les raisons qui l'ont justifié. Elle gomme, la déchirure, l'abandon, la douleur de celui qui a tout quitté et les raisons qui expliquent son départ.
Migrant. Agit-il par pulsion, comme l'oiseau est migrateur, dicté par son instinct, génétiquement inscrit, ou par choix, par désir, par un caprice de voyageur aventurier, un peu casse-cou, à la manière d'un chercheur d'or ? Existe-t-il une autre alternative ?
Migrant. Derrière ce générique, tant de chemins particuliers, de raisons différentes, toutes dictées par le désespoir, l'arrachement du cœur et de l'âme au pays, aux amis, aux parents, aux frères et aux sœurs. Aux enfants parfois.
Migrant. Il est un intrus, un damné, celui qu'on voit et que l'on ne voudrait pas voir, il est celui qu'on ne voit pas mais que l'on imagine partout. Il est un ou une masse. L'effet recherché est le même. Le migrant s'immisce partout, il est insaisissable mais peut surgir n'importe quand. Les migrants sont une foule, une horde, prête à en découdre et à renverser notre civilisation, à envahir dans un désir de conquête. Il faudrait le considérer comme un danger, tant sa fourberie nous menace et nous fragilise.
Migrant. Ce terme ne nous raconte pas le parcours, il ignore le singulier, il nie l'humain, il refuse l'histoire, il raye les raisons du départ. Il ne raconte pas la peur, la blessure, la mort, le froid, la soif et la faim, la honte, le sable et la boue.
Migrant. Le terme a fait oublier celui d'exilé, celui de réfugié, bien plus évocateurs de la souffrance endurée par celle et celui qui a décidé d'affronter mille dangers pour atteindre un pays idéalisé. Le réfugié l'est parce qu'il a trouvé refuge, une main tendue et des bras ouverts. Un pays prêt à l'accueillir. Une protection, une attention, un regard, du temps donné, un intérêt porté à l'autre et à ses maux. Au refuge, on a substitué l'asile, puis la rigueur administrative qui trie et qui exclue a pensé le migrant, comme pour faire que cette appellation ne permette pas d'imaginer la fin de la route.