Un billet #5
Libre
La pauvre bête s'était coincée une patte entre deux barreaux d'une grille d'évacuation d'eau de pluie. Elle était assise, ses oreilles étaient rabattues de chaque côté de son crâne et son œil tombant indiquait clairement que quelque chose n'allait pas. C'était un gros chien au pelage brun, légèrement roux par endroits. Il émanait de lui une force et une puissance efficaces et respectables dans les situations où le physique devait faire la différence. Ses pattes étaient larges et solides. Il n'était pas en surcharge pondérale, ne portait pas de collier. On apercevait la forme des côtes sous le poil mouillé. Il était tard, je rentrais chez moi après une soirée passée à siroter deux ou trois bières, peut être quatre et j'avais le pas sinueux mais je parvenais à maintenir un rythme à peu près régulier. C'est alors que j'avais trouvé cet animal. Je m'arrêtai, il m'observait. J'hésitai entre l'aide que je pouvais lui apporter et la distance, car il était plutôt impressionnant et je connais les réactions des animaux blessés ou pris au piège. J'optai pour une stratégie d'approche en m'adressant au chien. Je n'attendais pas qu'il me réponde, je n'étais pas suffisamment dans les vapes pour ça, mais je tentais de l'amadouer pour ne pas l'effrayer et risquer la morsure. Je patientai cinq minutes, accroupi auprès de lui. Je compris qu'il ne me ferait pas mal lorsque je tendis la main et qu'il la lécha malgré la douleur qu'il devait ressentir. Je m'approchai encore, au plus près, pour observer la patte et comprendre la situation avant de tenter quoi que ce soit. Je ne pouvais tirer dessus, au risque de créer une blessure. Je décidai de lever la grille. L'animal comprenait mon intention et me soutenait en restant patient, calme, immobile et silencieux. Je m'y repris à plusieurs fois avant de réussir à desceller et enfin soulever la lourde grille de fonte. Puis, j'appuyai précautionneusement sur les coussins de la patte pour la libérer. Aussitôt, le chien partit à petit train en se retournant, me remerciant par un grognement et un long aboiement profond. La liberté ne se rappelle jamais autant à nous que quand on en a été dépossédé, crus-je comprendre dans ces manifestations sonores.