Un billet #4

Un été lent et doux

Ma grand-mère est la personne la plus douce que j'ai connue. Petite femme d'un mètre cinquante, elle avait une voix criarde qui pouvait faire penser qu'elle était en permanence en colère. Elle habitait une cité ouvrière, faite de maisons semblables, accolées les unes aux autres. Sur l'avant, une courette, un lambeau de jardin où poussaient quelques herbes et fleurs qu'on n'entretenait pas. La cité était située aux limites de la ville, construite sur les bords d'une route qui menait, en haut de la côte, à un chevalet à l'arrêt. Vivaient ici que des veuves. Pas de familles, pas d'enfants. Les commerces étaient loin et les semaines étaient rythmées par le passage des camionnettes-épicerie, boucherie, boulangerie, qui venaient ravitailler les gens qui vivaient là. Chacun connaissait les ordres de passage et était capable de distinguer les vendeurs à la tonalité et au rythme du klaxon des fourgonnettes qui s'arrêtaient invariablement au même emplacement. Les femmes sortaient alors des maisons pour les achats de la semaine. Je m'y rendais souvent avec ma grand-mère car j'aimais cette agitation et les conversations dans l'attente d'être servi. Les achats étaient payés ou inscrits sur l'ardoise. On réglait les comptes. Puis chacune retournait chez elle et de nouveau, la course du temps se figeait. Cette cité vivait dans l'immobilité d'une splendeur révolue, celle de la mine, qui procurait du travail à toute la région. J'étais petit et je ne m'aventurais jamais loin. Je passais du perron, où je m'asseyais souvent car là était l'animation procurée par les rares passages de véhicules, à l'arrière de la maison, qui donnait sur une vaste étendue herbeuse, faite d'anciens jardins dont on ne s'occupait plus. Je m'ennuyais beaucoup. Je n'avais rien à faire, le temps prenait son temps, celui du rythme imposé par les quelques événements fixes de la journée. Parfois, je traversais la route, sous la surveillance de ma grand-mère, après contrôle du flot du trafic routier. De l'autre côté, un vaste terrain de foot formait un plateau qui dominait des maisons lointaines. Je jouais avec un ballon, tour à tour gardien ou joueur, mais ce jeu solitaire finissait par m'ennuyer et alors, je rentrais.

© 2019 Pascal Deleu. Tous droits réservés.
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