Un billet #3

Le combat du siècle

Je m'étais réfugié dans le rade. Refuge, c'était bien l'idée. Dehors, c'était le déluge. Chaque goutte d'eau pesait une tonne. Au moins. Et te mouillait version Karcher. En entrant, j'avais attendu une bonne minute, gêné par le lac en train de se former dont je constituai l'îlot central. Le patron ne me prêta aucune attention, tout juste avait-il levé un sourcil en me voyant passer la porte, sourcil qu'il avait fourni et qui cachait un œil sombre. Je franchis le lac étiré en rivière du fait du sol irrégulier, et me dirigeai vers le comptoir où quatre convives se chamaillaient tout en regardant un écran télé perché à trois mètres. Un match de boxe s'y déroulait, opposant deux adversaires boursouflés par les coups. On était à la dixième reprise et ça cognait sec, version poids lourds. Les quatre gars du comptoir oscillaient entre œillades vers l'écran et conversations appuyées sur les coups portés, la technique employée et surtout son efficacité mesurée à la grimace de douleur ou au grossissement de l'hématome de l'œil. Nul doute, j'avais à mes côtés des champions, si j'en jugeai par leurs commentaires efficaces et bienvenus, tout en finesse et en science pugilistique. La petite équipe était composée d'entraineurs, ayant visiblement œuvré au plus haut niveau, qui semblaient connaitre, avec peu d'erreur le palmarès des champions à l'œuvre mais également celui d'autres boxeurs dont les noms apparaissaient ici ou là, au hasard d'une évocation, d'un combat vu il y a des années. Bien sûr, Mohamed Ali et Foreman arrivèrent dans ces échanges, Tyson, Hagler, Spinks, mais aussi Carpentier et Cerdan, et même Tiozzo qui disparut aussitôt dans un brouhaha d'expressions confuses. Le patron s'approcha de moi après quelques minutes d'ignorance complète à mon égard, prenant le temps, avant cela, de stopper l'irrigation impromptue que j'avais causée sur son sol à la propreté approximative.

- Qu'est-ce que vous prendrez ?

- Un café. Sans vouloir déranger.

La conversation s'enflammait. Les quatre gusses se mirent à mimer un combat. La souplesse des corps était toute relative, les déplacements étaient lourds et approximatifs. Soudain, un direct un peu mou partit et finit sa course dans la rangée de verres posés sur le comptoir. Ils explosèrent en mille éclats éparpillés. Le patron gueula et le combat s'arrêta net.  Dans la télé, on remettait la ceinture au champion. J'avalai mon breuvage, payai et retournai, soulagé, sous la pluie battante.

© 2019 Pascal Deleu. Tous droits réservés.
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