Un billet #11 Dylan

Mes potes m'appellent Bob l'éponge. Mon vrai prénom c'est Dylan parce que mon paternel s'est entiché de Dylan, le chanteur américain. Du coup, il a eu la bonne idée de me donner ce prénom. Et moi, la mauvaise d'avoir raconté un jour cette légende familiale. Il n'a pas fallu deux jours pour que ça fasse le tour du quartier. Et ce que les potes ont retenu, ben, vous le savez. Bob l'éponge est maintenant marqué à jamais comme mon identité propre. Ça ne sert à rien de lutter contre ça, on ne lutte pas quand le quartier entier vous connait sous un sobriquet. De toute façon, Dylan, ils ne connaissent pas. Enfin, je crois. J'en ai jamais parlé avec eux. Des fois, mon père sort les vinyles qu'il a gardé et qui ont au moins cinquante ans. Un demi-siècle. Plus de trois fois mon âge. Je comprends qu'il aime ce type. C'est la musique d'une époque. Pas la mienne. Enfin, y'a certainement des jeunes de mon âge qui apprécient. Pour dire la vérité, je n'y suis pas insensible. Je n'ai pas saisi toutes les paroles, je suis pas fortiche côté engliche, mais, y'a des sons et des mots qui viennent percuter mon âme. Ce genre de truc, je peux pas vraiment le dire à mes potes. Il n'y a qu'à Sabah que je peux en parler. D'ailleurs, je lui en ai parlé. On se connait depuis qu'on est petits, on a fréquenté les mêmes écoles, depuis la maternelle. On n'était pas toujours dans la même classe, mais on s'arrangeait pour se retrouver, dans la cour de récréation ou en bas, pour jouer avec les autres. On est même partis en colo ensemble. Deux fois. Sabah, c'est mon amie. Une très bonne amie. Je peux bien le dire ici, j'en pince pour elle. Je pense que c'est partagé parce que c'est la seule qui m'appelle Dylan, avec mes parents, c'est dire. L'autre jour, en sortant plus tôt du lycée, je lui ai proposé de passer à la maison. Mes parents n'étaient pas là. Ça aide. On avait un sujet de maths à travailler. Enfin, on s'est trouvé ce prétexte pour être ensemble. On a bossé côte à côte. Je la regardais en coin. Ce qu'elle est belle ! Elle était très concentrée sur l'exercice de maths, essayant de me faire comprendre les subtilités d'une matière qui pour moi a été inventée par des gens très sérieux pour des gens ennuyeux. Ou l'inverse. Je n'écoutais pas. Je me suis levé et j'ai posé Bob Dylan sur la platine. J'ai mis le bras au hasard sur le disque. Girl from the North country est sorti des enceintes en grésillant. Je n'ai su qu'après que c'était ce titre. Bien après que Sabah me rejoigne et m'offre ses lèvres.

© 2019 Pascal Deleu. Tous droits réservés.
Optimisé par Webnode
Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer