Un billet # 10

La cité des rêves

Le soleil tape dur et il n'y a pas grand monde dehors. J'hésite avant de franchir la limite de l'entrée de l'immeuble. Je sais que le poids de la chaleur va me tomber sur les épaules aussitôt le seuil franchi. Je pousse la lourde porte et mes prédictions s'avèrent justes. La chaleur étend ses bras qui s'enlacent sur tout et partout, dans l'air bien sûr mais aussi sur les murs, le sol et l'ensemble des éléments qui composent le paysage alentour. Parlons-en du paysage. Entre les tours à ma gauche et ma droite, s'étend une maigre bande herbeuse. Une herbe de touffes
vieillies, tantôt rabougries, tantôt surélevées en mottes, qui poussent au milieu d'une terre dure comme de la roche. Plus loin, à une centaine de mètres devant moi, pas une tour, mais un parallélépipède de béton. L'architecte ne s'est vraiment pas foulé sur ce coup-là. Il devait jouer aux Légos quand il était petit. Il n'a fait que transposer, en plus grand. Je rejoins Sly et Djam sur le banc. Ils devraient être là. Ils sont toujours là. Même la chaleur ne changera pas nos habitudes. Et puis, coup de bol, le banc est à l'ombre de l'immeuble. Génie de Monsieur Légo. Mes deux potes sont assis, téléphone en main. Ils ne se parlent pas mais être ensemble est déjà une forme de dialogue dans cette cité où on sait tout des uns et des autres. « Salut ! » Ils répondent à ma main tendue par un check familier, qui agit comme un signe distinctif de reconnaissance, une sorte de ballet de mains. Je m'assois à leur côté, le cul posé sur le dossier du banc. « Ça va ? » Pas de réponse. Ça veut dire « Oui ». « Vous faites quoi ? » Un tennis, répond Sly, mais on n'a pas de raquette » « Et pas de balle » enchaine Djam, tous les deux les yeux rivés sur leur écran « Ok » Le silence s'installe, lui aussi lutte contre la chaleur. Je sais qu'il ne tiendra pas longtemps. « Bon, on fait quoi les gars, on bouge ou quoi ? » « Tu veux faire quoi ? Tu veux aller où ? T'as jeté un œil autour de nous ? » Pas besoin. Je connais ce quartier par cœur, j'en connais la moindre pierre, le moindre recoin, le moindre brin d'herbe survivant. A cette heure de l'après-midi, il n'y a que quelques gosses qui jouent sans pouvoir s'abriter. Ils sont descendus avec des glaces qu'ils ont fabriquées dans des pochons avec de l'eau et du sirop, vendus vingt centimes par l'un d'eux. Ingénieux. Les gens sont enfermés chez eux, accablés par la chaleur. Ceux qui bossent reviendront ce soir, après une journée harassante. Dans ma cité, le soleil s'en veut de trop briller.

© 2019 Pascal Deleu. Tous droits réservés.
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