L'offrande

Elle a acheté un réveil déniché dans une ressourcerie. Un réveil de poche, enfermé dans un écrin de faux cuir rouge. Petite fille de neuf ans qui cherchait un cadeau d'anniversaire pour sa grand-mère.

- Madame, je peux acheter quoi avec cinq euros ?

- Avec cinq euros, tu peux acheter beaucoup de choses ici. Il y a du choix. Cherche, tu trouveras ce qui te plaît.

Dépitée par la réponse, elle a cherché, un peu perdue dans cette boutique remplie de milliers d'objets hétéroclites, livres, cendriers, sculptures et statues, vieilles lunettes, de vue ou de soleil, briquets, bracelets et colliers, verres épais ou de cristal, tasses et assiettes, jeux de société, cadres de photos, reproductions médiocres de tableaux ou croûtes déchirées. Et ce vieux réveil de voyage, enfermé dans cette boite rouge au fond décollé. Elle a payé de ses cinq euros et comme la dame était gentille et certainement touchée au cœur par cette petite fille qui lui tendait son billet froissé, lui a rendu trois euros cinquante de monnaie. La petite fille a pris le réveil et l'a tendu à sa grand-mère. C'est pour ton anniversaire, a t-elle simplement dit. Et elle s'est détournée, avec le sentiment sincère d'avoir fait plaisir à sa grand-mère avec cette offrande.

Le réveil est dans la chambre désormais. Ouvert sur sa boite rouge, il marque cinq heures trente- deux. Les aiguilles sont figées sur cet horaire. Elles ne bougeront plus. Le réveil ne fonctionne pas. La petite fille l'ignorait. Qu'importe. Je l'aime d'avoir, dans l'ignorance de son geste, gelé le temps pour toujours, d'avoir suspendu ce moment de grâce par l'offrande improbable d'une petite fille à sa grand-mère. Je l'aime d'avoir ainsi créé un souvenir arrêté au cadran du réveil qui jamais plus ne sonnera.

Je t'aime, petite fille, pour ces cinq heures trente-deux marquées pour l'éternité qui me renvoient, pour toujours, l'image de toi perdue dans une boutique, à la recherche d'un cadeau à offrir à ta grand-mère.

Asnières sur Seine, le 9 décembre 2024