Le rade du coin de la rue

Dans le rade du coin de la rue, il y a des tables orange et des banquettes joufflues éventrées. Une musique balance du son sorti d'enceintes accrochées au mur. Les habitués se sont visiblement donné des rendez-vous, mais le type de rendez-vous qu'on n'envoie pas par courrier. Ces rendez-vous échappent au formalisme. Un « A demain » suffit, le plus souvent. Ou alors, on vient parce qu'on sait qu'on retrouvera là, tel ou telle et que ce sera bien ainsi.

Dans le rade du coin de la rue, les convives se baladent avec des verres de bière ou de vin, quelques jus aux couleurs vives ou pastels, pour rejoindre la table des amis. Des discussions fusent, des paroles s'échangent, des rires aussi et tout cela se mélange dans un brouhaha d'où surnagent quelques mots qui cherchent l'air respirable pour continuer d'exister. Ils finissent malgré tout par étouffer, aussitôt remplacés par d'autres, qui connaitront la même destinée. Cela n'est pas important, ils sont l'aliment nécessaire à la construction d'une soirée éternelle. Ces mots doivent continuer à vivre leur vie quelque part, dans un coin à eux.

Des gosses se trimballent de table en table, sous la surveillance des parents rieurs, à la recherche d'une liberté facile à voler.

Des tableaux, œuvres magistrales de peintres amateurs, sont attachés de guingois et attendent patiemment la vente ou une reconnaissance, même d'estime locale. Le rade s'est transformé en galerie populaire, aux croutes intéressantes peu reluquées.

Dans le rade du coin de la rue aux tables orange et aux banquettes éventrées, un bonheur simple et léger a fait sa place, gentil propriétaire du lieu.

Asnières sur Seine, le 5 janvier 2023