Un billet#20

Le printemps moqueur

Je me suis réveillé ce matin et le printemps était là, souriant à ma fenêtre. Je l'avais tellement attendu que j'avais fini par m'en détourner, tellement je lui en voulais de trop tarder et de se faire espérer, comme l'amour à qui on a donné rendez-vous et qui vous pose un lapin. J'étais bougon, au point de décider de l'oublier pour lui faire payer son absence trop longue. Aussi, au moment où je l'attendais le moins, il décide de toquer au volet et de me sourire, d'un bel éclat de lumière. Je dois avouer que j'avais quand même perçu quelques prémices à son arrivée. J'avais préféré les ignorer, habitué que j'étais des mauvais tours, des annonces décevantes et des entrées en scène annulées. Ces dernières semaines m'avaient donné raison. Le vent d'est, têtu et glacial soufflait sans discontinuer, bien décidé à s'imposer en maitre incontesté de l'hiver. Il s'insinuait dans les corps, jusqu'aux os, et même couverts des meilleurs vêtements faits de différents textiles spécialement étudiés, le froid finissait toujours par vaincre en piquant les chairs, les nez devenus glacés et humides, les doigts ou orteils gourds et endoloris dès lors qu'on entrait se réchauffer dans des abris protecteurs. Les gelées matinales obligeaient à s'armer de patience et de grattoirs, les brumes givrantes à doubler d'attention pour éviter les sorties de route causées par les chaussées glissantes. Dans les rues, les jardins, les squares, point d'oiseaux. Ils étaient partis se cacher dans des lieux connus d'eux seuls et qui pouvaient leur apporter un réconfort. Et puis, discrètement, les événements ont pris un tour nouveau. Un ciel bleu pâle successeur de celui gris et chargé de nuages prêts à exploser, de timides tiges des premiers bulbes, perce-neiges, jacinthes, jonquilles et crocus, forant le sol encore froid de leurs tiges d'un doux vert tendre, le hardi rouge-gorge, aperçu sur les branches nues d'un forsythia tâché de frêles bourgeons jaunes, les mésanges acrobates à la recherche d'insectes rares, le camarade soleil tirant de timides flèches chargées d'une douce chaleur, pas assez aiguisées pour rougir la peau mais suffisamment pour en ressentir les bienfaits, des visages souriant, éclairés et obscurcies de lunettes sombres ressorties des tiroirs, la flânerie qui redevenait une façon de se déplacer et de prendre de nouveau son temps, tout indiquait que le printemps était bien décidé à cesser son jeu de cache-cache et à étaler sa douce beauté.

© 2019 Pascal Deleu. Tous droits réservés.
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