Un sale coup
James est entré et c'est juste après que ça a dérapé. Il y avait ce type, là, derrière le comptoir, il parlait à cette vieille dame, lui vantant je ne sais quel produit. C'est certain, il pensait plus à la com' qu'il allait toucher s'il réussissait à la convaincre de lui acheter sa camelote. La vieille n'avait pas l'air de vouloir se laisser embobiner, elle était méfiante comme un chat, et le type la gratifiait de sourires émaillés, le son de sa voix était trop mièvre et plus il rentrait dans son rôle de bonimenteur, plus la vieille se crispait, se fermait à son discours pré-mâché. Le type n'a pas prêté attention quant nous sommes entrés, il n'a pas levé la tête, occupé qu'il était à la séduire, la vieille ne nous a pas vus tout de suite, enfin, pas à ce moment là, elle pensait juste à se tirer de ce mauvais pas face à ce vendeur insistant, qui finissait vraiment par lui taper sur le système. Comment se débarrasser de ce balourd ? se demandait-elle, au moment même où nous avons fait irruption. James était excité. Il n'avait jamais participé à un coup de cette importance, tout juste des petits larcins, en l'absence de propriétaire ou de témoins gênants, alors imaginez, un braquage de banque. Pour sûr, c'était une première pour lui, il n'en menait pas large et j'avais failli tout annuler en le retrouvant deux jours avant, tant il parlait vite et fort. J'ai tout de suite vu que quelque chose clochait et que les choses risquaient de devenir compliquées. Pour ce genre de coup, il te faut des gars sûrs, des types au cœur réglé comme une horloge et sous bêta-bloquant, soixante-dix battements par minute, grand maximum. L'accélération cardiaque, ce n'est pas bon, ça gèle l'intelligence, la capacité à prendre les bonnes décisions au bon moment, surtout quand ça ne se passe pas comme prévu. Mais James a insisté, il m'a dit qu'il était réglo, que tout allait bien se passer et qu'il tiendrait son rôle comme j'attendais. J'ai encore hésité, et puis j'ai cédé. Je lui dois cela, nous nous connaissons depuis le lycée et j'en pince pour sa sœur. J'ai sorti un flingue de mon manteau et lui ai filé. Il frémissait de plaisir à la vue de l'arme, il a déchanté lorsqu'il l'a prise en main. C'était une belle imitation, une de ces répliques qui servent aux gosses à se tirer dessus sans trop de bobos, ces trucs qui balancent des billes de plastique qui te fouettent la peau et te marquent de petites tâches rouges. J'ai expliqué à James que je ne souhaitais pas prendre le risque d'utiliser des armes réelles. C'était un semi-mensonge, je n'avais pas le moyen de m'en procurer de véritables, j'étais fauché et n'avais que cela comme solution. Et puis, il s'agissait de faire peur, pas de blesser. Pour le résultat recherché, ces imitations, même grossières, suffiraient bien. James a râlé, a insisté pour avoir un flingue, un vrai. J'ai coupé court en le menaçant de tout annuler et il a dit o.k. Il a conduit la voiture volée la veille, l'a garé dans une rue transversale. Nous avons mis nos capuches pour ne pas être vus par les passants, sommes entrés et avons sortis nos armes. Nous avons mis en joue le gars de l'accueil et il n'a pas levé la tête pour nous regarder, pas plus que la vieille ne s'est retournée. James et moi nous avons échangé un regard, le sien indiquait clairement la peur, de son front perlaient des gouttes de sueurs et il s'est essuyé avec le revers de sa manche. La situation était étrange, nous étions là à attendre qu'on fasse attention à nous et c'était comme si nous étions invisibles. Alors j'ai gueulé, le type nous a vus, il est devenu blanc, la vieille s'est mise à chialer, j'espérais qu'elle tienne le coup, je me suis dirigé vers le caissier pour lui demander le fric. Je jetais un œil à James et j'ai compris alors qu'il n'était pas à la hauteur. Il regardait sans cesse nerveusement dans son dos, cette fois son visage était ruisselant et ses yeux trahissaient la frousse. Il nous fallait faire vite pour éviter le fiasco. Je lui ai dit de surveiller l'entrée et j'ai de nouveau crié sur le gars pour qu'il se magne, il perdait ses moyens, je l'ai suivi sous la menace de cette saloperie en plastique jusque dans une salle où se situait un petit coffre ouvert. J'ai poussé le type, pris les billets, les ai enfouis dans un sac et j'ai fait demi-tour. C'est arrivé à l'accueil que j'ai entendu la détonation. Assourdissante. James s'est écroulé, il y avait une odeur de poudre et mes oreilles sifflaient. Je me suis précipité vers lui. C'est seulement alors que j'ai vu la vieille qui pointait sur moi son flingue fumant.